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Résumées
Paolo D'Iorio, (Paris/München), introduction aux travaux Dans la suite du premier colloque sur Nietzsche organisé en 2001 à La
Fondation des Treilles qui portait sur Choses Humaines, trop humains ,
en 2003 nous nous sommes consacré à l'analyse du deuxième
livre de la trilogie de l'esprit libre, c'est-à-dire Aurore.
Pensées sur les préjugés moraux . Le colloque Philosophie
de l'Aurore a donc pris comme objet la structure et la genèse
de cette oeuvre de Nietzsche, pour en tirer des considérations
historiques et des interprétations philosophiques qui ont cherché à répondre à trois
questions : sur la place d' Aurore dans le développement
de la philosophie de Nietzsche ; sur l'importance de ce livre et
des thèmes philosophiques qu'il recèle pour l'histoire
de la philosophie en général ; enfin en quoi les questions
qui sont posées dans Aurore sont encore valables aujourd'hui
et en quoi elles continuent à nous intéresser en stimulant
notre réflexion philosophique.
Les interventions ont porté sur l'interprétation philosophique
d'un aphorisme, d'un groupe d'aphorismes ou d'un thème, ou bien
ont essayé d'en reconstruire la genèse à partir
des manuscrits. On a ainsi traité les thèmes suivants :
le concept de catharsis, la critique de la pitié, l'idée
d'amitié, l'analyse de la tradition, le concept de mesure, de
connaissance, de puissance, la critique de l'eurocentrisme hégémonique,
la critique de l'idée de finalité, le rapport de Nietzsche
avec Pascal, Spencer, Joseph Popper, les métaphores de la lumière
dans l'Aurore...
Le colloque fut aussi l'occasion de parler, cette fois plus brièvement,
des derniers développements du projet HyperNietzsche auxquels
ont été consacrées quatre interventions concernant
le classement numérique des sources, les techniques de transcription
des manuscrits, l'ordonnancement des matériaux dans des parcours
génétiques ou thématiques et les modalités
de publication des essais critiques sur le Web.
Renate Müller-Buck, (Tübingen), La naissance d' Aurore
« J'écris seulement ce qui a été éprouvé par
moi »
L'étude tente de préciser les conditions de travail particulières
qui déterminent les pensées de Nietzsche à l'époque
d' Aurore . La douleur et la solitude sont, d'après nous,
les deux grandes causes déterminantes de sa vie qui mènent
sa pensée. « J'ai toujours écrit entièrement
avec mon corps et ma vie et je ne sais pas ce que sont des 'problèmes
purement mentaux' » (1880). Penser, pour Nietzsche, devient
de plus en plus une « biographie involontaire de l'âme » ( Aurore, §. 481).
La tentative de montrer les liens entre perspectives anthropomorphiques
et corporelles et combien l'intellect connaissant est 'tenu en laisse
par le corps' est l'une des principales idées de la philosophie
de Nietzsche des années quatre-vingt, qui prend pour la première
fois forme dans Aurore.
Sandro Barbera, (Pisa), Connaître par la pitié
Dans la période d' Aurore, la discussion de Nietzsche
avec la notion schopenhauerienne de pitié se développe à différents
niveaux. Dans le premier livre (§. 63), l'équivalence
compassion-pitié semble nier la fonction intellectuelle et cognitive
qui, d'après Schopenhauer, est au centre du phénomène
de la pitié. Dans le deuxième livre (§. 142)
et dans les fragments posthumes de l'été et de la fin de
1880, la déconstruction de la pitié vise au contraire à définir
la structure même de la solution métaphysique que Nietzsche
cherche à présenter surtout en tant que déviation
dans les processus de compréhension de l'autre, au moyen de procédures
inductives.
Olivier Ponton, (Nice), L'esprit libre et la tradition.
Nietzsche forge dans Le Voyageur et son ombre et dans Aurore une
théorie de la tradition qui peut nous permettre de comprendre ce
que c'est qu'un "esprit libre" pour Nietzsche. Agir traditionnellement
consiste en effet à suivre son "sentiment" plutôt
que sa raison, plus précisément à subir la
puissance de ce sentiment, et à agir sans savoir pourquoi on agit,
si ce n'est parce qu'on a peur d'agir autrement. L'esprit libre,
tel l'artiste classique qui parvient à "danser dans les chaînes" (pour
reprendre la métaphore de Voltaire qui donne son titre à l'aphorisme
140 du Voyageur et son ombre ), c'est-à-dire à maîtriser
un ensemble de conventions esthétiques et à jouer avec elles,
affronte au contraire cette peur et, sans s'affranchir totalement de la
tradition, parvient à la dominer en la réinterprétant
et en lui donnant une signification nouvelle.
Thomas Bartscherer, (Paris/Chicago), Remedium amoris : réflexions
sur la tragédie dans Aurore
Des références au drame tragique apparaissent en différents
points d' Aurore, un livre que l'auteur voulut par la suite considérer
comme le commencement de sa « campagne contre la morale ». « Remedium
amoris » examine ces références et cherche à clarifier
le rôle que la tragédie joue dans cette phase inaugurale de
la critique nietzschéenne de la moralité. La première
partie démontre comment Nietzsche recourt à la tragédie
comme un contre-exemple positif dans son débat contre la vision morale
moderne du monde, particulièrement en considération de la
pitié et du complexe culpabilité-punition. Dans la seconde
partie, on soutient que la tragédie sert aussi un effort plus général
de Nietzsche pour montrer que la moralité a été « la
grande maîtresse de séduction » et la « Circé de
tous les philosophes ». En bref, la communication suggère
que, pour Nietzsche, le phénomène du drame tragique fournit
un aperçu crucial de la manière dont une vision du monde,
qu'elle soit une perspective morale qu'il critique ou une alternative possible à celle-ci,
réussit à établir et à maintenir une obéissance
fervente.
Luca Lupo, (Cosenza), Connaître et inventer. Invitation à une
lecture de l'aphorisme 119 d' Aurore
Dans cette contribution Luca Lupo analyse quelques thèmes fondamentaux
développés dans l'aphorisme 119 d' Aurore .Après
un bref exposé général de ce texte, il essaye de
mettre en lumière les points de contact - difficilement saisissables
au premier abord - entre l'Aphorisme 119 d' Aurore et l'écrit
inédit Vérité et mensonge au sens extra-moral en
montrant que, bien qu'il s'agisse de deux textes chronologiquement éloignés,
Nietzsche a recours dans Aurore à des modèles explicatifs
déjà utilisés dans Vérité et mensonge .
Par la suite, l'auteur illustre la contiguïté entre la notion
de " raison créative " qui se dégage de l'aphorisme
et celle de " force créative " que l'on trouve dans certains
fragments postérieurs. Enfin, il essaye de montrer que l'attitude
sceptique, dubitative et problématique exprimée par Nietzsche
au moyen de choix stylistiques très précis, est un topos des
passages dans lesquels il aborde le problème de la conscience.
Paul van Tongeren, (Nijmegen/Leuven), AMIS GRECS. Sur la "capacité de
mentir" et "l'idéalisation de l'amour sexuel"
Le thème de l'amitié apparaît moins souvent dans Aurore que
dans les autres oeuvres aphoristiques de Nietzsche et semble pour ainsi
dire refoulé. L'opposition entre les Grecs et 'nous hommes modernes'
ainsi qu'elle apparaît dans Aurore , suggère que ce
livre représente une phase intermédiaire entre les oeuvres
précédentes et ultérieures. Ces deux points de départ
sont liés dans une analyse de deux aphorismes (69 & 503) où se
rencontrent ces deux thèmes, celui des Grecs et celui de l'amitié.
Le résultat est que Nietzsche se voit séparé par
sa passion de l'honnêteté du monde grec et de l'amitié qui était
possible dans ce monde. La raison en est, d'une part, que la capacité grecque
au mensonge est nécessaire à l'amitié, mais défendue
par l'honnêteté, et que, d'autre part, l'abnégation
exigée par la passion de la connaissance trahit l'idéal
grec de l'amitié.
Ernani Chaves (Belèm), La catharsis dans Aurore :
sur l'aphorisme 240
A propos de l'aphorisme « De la moralité de
la scène », j'aimerais faire quelques commentaires qui
soulignent certains aspects de l'aphorisme et qui tournent autour de la
critique des possibles effets moralisateurs du théâtre. En
d'autres termes, il s'agit la critique de la finalité cathartique
du théâtre, prenant comme exemple Macbeth, où la fin
tragique des personnages aurait pu soulager le spectateur de ses propres
tendances ambitieuses. Cette critique se partage en deux aspects également
importants : la comparaison entre Shakespeare et Sophocle et l'explication
de la non compréhension de Shakespeare à notre époque
de telle manière que ses pièces ont toujours besoin d'une 'adaptation'.
Vivetta Vivarelli (Firenze), Fausses interprétations et raisons
imaginaires dans l'aphorisme 358 d'Aurore
Dans ce court aphorisme d' Aurore , on reconnaît aussi bien
des pensées de Pascal que de Lichtenberg sur des raisons imaginaires
et de fausses déductions. La critique nietzschéenne des
fausses interprétations d'événements internes dépasse
encore des considérations semblables tirées de l'époque
des Lumières.
Bien que, dans ses analyses, Nietzsche puise dans la science positiviste
de son temps, il trouve par dessus tout de proches alliés chez
les deux philosophes antérieurs qui initient des révélations
aux formulations avisées et à la psychologie subtile sur
la critique du langage. Nietzsche semble faire sienne leur façon
paradoxale de penser. On pourrait même dire qu' Aurore est
caractérisé par un double mouvement : d'une part par l'analyse
des fausses interprétations qui se trouvent à la base des
constructions morales de l'homme, d'autre part par la demande de modification
du sentir, dans lesquelles on dirige pendant des siècles le travail
intellectuel vers d'autres domaines.
La même passion qui a conduit certains hommes à l'invention
d'une religion et d'une morale doit maintenant les porter en direction
de domaines inexplorés. Cette réinterprétation dans
laquelle culminent les réflexions de Nietzsche, et qui comprend
une transvaluation essentielle, devait devenir plus tard le thème
du Gai savoir .
Benedetta Giovanola, (Macerata), Mesure : sur la voie du meilleur ?
Cette contribution explore le thème de la mesure dans Aurore et
montre son caractère de complète tension interne. Cette
notion est analysée selon quatre aspects : esthétique, éthique, épistémologique
et ontologique, par lesquels la mesure peut être mieux qualifiée.
De ces considérations résulte non seulement la tension
entre la mesure et la démesure, mais encore celle entre la mesure
et l'excès et s'ouvre l'espace pour « quelque chose » qui
va lui-même au-delà de la mesure. Enfin, l'auteur se demande,
si cet espace « au-dessus » peut être déterminé comme
une dimension du meilleur
Duncan Large, (Swansea), Nietzsche et compagnie : la première
personne pluralisée
La philosophie de Nietzsche est dramatisée, personnifiée
et sur le ton de la conversation : ses textes sont une orchestration
rigoureuse de voix dont beaucoup sont supposées parler à sa
place. Une analyse de la Préface de 1886 d' Aurore démontre
la variété des voix (grammaticales) dont Nietzsche fait
usage et la variété des masques que lui-même adopte,
mais ici son empressement à parler explicitement à la première
personne du singulier témoigne de façon atypique par rapport à l'ensemble
dans lequel il recourt beaucoup plus volontiers à la première
personne du pluriel. Une analyse du « nous » utilisé dans
la plupart des textes de 1881 permet d'isoler quatre différents
types de signification en accord avec les communautés au nom desquelles
Nietzsche déclare s'exprimer : 'humanitaire' (l'humanité dans
son ensemble), 'moderne' (la modernité, en particulier par contraste
avec les anciens Grecs), 'rhétorique' ou 'académique' (comme écrivain
et lecteur) et 'communautaire' (par une sélection d'esprits individuellement
semblables). La dernière catégorie est la plus caractéristique
de la philosophie de Nietzsche dans son ensemble et elle est aussi
la plus instable, car si elle n'est pas purement le 'je' - substitut du
nous de majesté signifiant uniquement Nietzsche lui-même - elle
met le lecteur au défi de se reconnaître dans les communautés
qu'il décrit.
German Meléndez, (Bogotà), Pulsion de connaissance
et sentiment de puissance
Dans cet essai, la tentative est entreprise de lier la notion de passion
de la connaissance apparaissant dans Aurore avec la formule de
l' « auto dépassement de la morale » que
Nietzsche propose dans l'Avant-propos de 1886 visant à caractériser
ce travail (et son auteur).
Matteo Vincenzo d'Alfonso, (München), Ontologie und Digitale
Erschliessung in HyperNietzsche
Die Darstellung der Materialien des Nietzsche-Nachlasses in HN braucht
eine Digitale Erschließung ; allein sie bietet nämlich
die Möglichkeit, die einzelnen Dokumente abzurufen und sie sowohl
in der "dynamische Kontextualisierung" als auch in einem "Weg" erscheinen
zu lassen. Grundelemente unserer Erschließung sind die einzelnen
Notizen; als solche wurden sie zum erten mal in HN erschlossen, wogegen
laut der bisherigen Erschließungen konnte man sich eindeutig
nur bis auf eine Seite beziehen. In HN bekommt dagegen jedes Textstuck,
das als eine selbständige Notiz zu verstehen ist, eine eindeutige
Benennung: die Sigle. Für die Herstellung der jeweiligen Siglen
haben wir die Metteschen Signaturen der Materialien und ihre entsprechende
Seitennummerirerung übernommen; diese werden von einer Zahl ergänzt,
die die Notiz auf einer Seite identifiziert. Diese Identifikationszahl
entspricht sowohl topologischen als auch semantischen Kriterien.
Slides:
Erschliessung.mov (QuickTime
movie 1,4 MB)
Erschliessung.pdf
(PDF file 3,4 MB)
Volker Zapf, (München), Transkriptionen Nietzsches Handschriften
im HyperNietzsche
Im Werkstattbericht wird beispielhaft dargelegt, wie die Philologen
des Münchener HyperNietzsche-Teams anhand der von HyperNietzsche
selbstangefertigten Digitalisate von Nietzsches Manuskripten Transkriptionen
erstellen, die transkribierten Texte mit der für HyperNietzsche
entwickelten HyperNietzsche Markup Language (HNML) elektronisch auszeichnen
und im HyperNietzsche veröffentlichen. Vier Transkriptionsarten,
den jeweiligen Rezipienteninteresse entsprechend, werden im HyperNietzsche
publiziert: die lineare, diplomatische, ultradiplomatische und die
interaktive Transkription. Nicht nur die technischen Möglichkeiten
des Systems HyperNietzsche werden erläutert, sondern auch Anleitungen
gegeben wie ein jeder interessierte Nietzsche-Forscher selbst im HyperNietzsche
Transkriptionen publizieren kann.
Andrew Williams, (München), Wege durch Nietzsches Materialien
im HyperNietzsche
In der Terminologie von HyperNietzsche bedeutet der Begriff "Weg" eine
Kette von logischen Verknüpfungen zwischen den verfügbaren
Materialien. Die Erstellung eines Weges ermöglicht die Präsentation
und Ordnung von Materialien nach genetischen, chronologischen oder
thematischen Kriterien. So wird die wissenschaftliche Nutzung und auch
Auswertung der Materialien gefördert und unterstützt. Bei
diesem Verfahren ist das ganze Spektrum wissenschaftlicher Arbeit vertreten:
reine philologische Arbeit; die interpretatorisch-philosophisch geprägte
Auseinandersetzung mit Nietzsches Texten; und nicht zuletzt die didaktisch
ausgerichtete Sortierung der Materialien für den Unterricht.
Paolo D'Iorio, (Paris/München), La publication des essais
critiques dans l'HyperNietzsche
L'HyperNietzsche n'est pas seulement un moyen d'accès aux archives
numériques concernant la vie et l'oeuvre de Nietzsche, ni seulement
le moyen pour établir et publier des éditions électroniques,
il est également un instrument utile pour l'interprétation
philosophique. En effet, par la consultation des sources primaires
et des contributions, il permet de concevoir des interprétations
plus proches des textes de Nietzsche et il permet de publier ses
propres interprétations (articles, monographies, comptes-rendus...)
sur le Web. HyperNietzsche est donc aussi une bibliothèque numérique
spécialisée.
Au cours de cette intervention ont été présentées
la procédure de soumission des essais au comité scientifique
de l'HyperNietzsche, les modalités d'évaluation par les
paires ainsi que les aspects juridiques de la publication sur Internet.
On a insisté sur le fait que l' Association HyperNietzsche , à la
différence des éditeurs traditionnels, ne s'approprie
pas les matériaux qui lui seront confiés pour publication.
Avec le contrat de cession de droit qui est souscrit par voie électronique
au moment de la publication en réseau d'un essai, l'auteur en
réalité ne cède à l'HyperNietzsche aucun
droit sur son texte, pas même l'exclusivité de la publication
en réseau. Il est donc libre de le publier à nouveau
sur n'importe quel support. La seule chose à laquelle l'auteur
s'engage, est de laisser son texte disponible dans l'HyperNietzsche
pour une durée de 10 ans, éventuellement renouvelable.
Finalement, nous avons souligné que l'HyperNietzsche ne se
limite pas à la publication de nouveaux essais, mais qu'il vise à intégrer
la plupart des essais écrits sur Nietzsche (qui auront passé l'examen
du comité scientifique), même ceux qui ont déjà été publiés
ailleurs. En effet, on sait que dans le cas où l'auteur n'a
pas signé de contrat de cession des droits (comme c'est normalement
le cas pour les articles publiés en revue) ou dans le cas où le
contrat ne prévoyait pas explicitement la cession des droits
sur support électronique (comme dans la plupart des contrats établis
avant l'explosion d'Internet), l'auteur est censé avoir gardé le
droit de publication sur support électronique. Donc il est libre
de republier et faire revivre son texte dans l'HyperNietzsche, avec
tous les avantages de la diffusion planétaire et de la mise
en contexte hypertextuelle.
Slides:
Essais.mov (QuickTime
movie 112 KB)
Essais.pdf (PDF file
216 KB)
Andrea Spreafico (Bologna), L'honnêteté envers soi
comme forme de puissance
Dans l'un de ses carnets, Nietzsche engage une analyse de la probité envers
soi qui est, à notre sens, une tentative de se dégager
de son propre point de vue moral, celui de l'honnêteté.
C'est une analyse des dynamiques de l'honnêteté comme
forme d'auto-domination, de satisfaction de ses propres instincts de
louanges, de flatterie, enfin de son propre instinct grégaire.
Et c'est dans ces analyses de l'honnêteté que Nietzsche
teste ses propres formes de désir de domination ( Herrschsucht ),
formes qu'il développe théoriquement par le filtre de
la figure de Napoléon.
Thomas Brobjer (Uppsala), La lecture nietzschéenne de Popper
La communication traite tout d'abord en quelques mots des lectures
de Nietzsche, en particulier pendant la période de 1879 à 1881,
c'est-à-dire avant et pendant la rédaction d' Aurore. Ensuite,
un exemple précis est abordé au sujet duquel, à notre
connaissance, aucun commentaire n'existait jusqu'à présent : Le
droit de vivre et l'obligation de mourir (Leipzig, 1878-1879) de
Joseph Popper.
Nous examinons comment Nietzsche réagit vers la fin de 1879
ou le début de 1880, lorsqu'il découvre l'oeuvre d'un
défenseur intransigeant de l'individualisme, un libéral
au sens large du terme et un idéaliste qui voulait réformer
la société afin de réduire l'importance de la
religion, d'introduire un programme de sécurité sociale
(notons que Nietzsche lui-même était pensionné),
de réformer le système pénal (en éliminant
les concepts de récompense et de punition) et de laisser à chaque
homme adulte apte au combat le choix de s'engager ou non dans une guerre. À la
fin, nous étudions aussi brièvement ce que Popper pensa
de Nietzsche lorsqu'il en fit plus tard la lecture.
Marco Brusotti « Comparaison avec Pascal » et « principe
de la bravoure » ( Prinzip der Tapferkeit ). Quelques étapes
dans la création d' Aurore
La méthode d'examen de la genèse des textes sera présentée
comme un exemple ponctuel. Le plan « religion de la bravoure » distingue
une nouvelle phase dans le travail de Nietzsche sur Aurore. Ses
réflexions entraînent ce projet sur la mise au point de
nouveaux modèles individuels et sur le choix d'une conduite
de vie personnelle. Cette base personnelle est, en dépit de
l'objet de la connaissance héroïque (les « grandes
questions de la morale »), d'une nature plus générale.
Nietzsche semble ici vouloir développer sa nouvelle passion
- la passion de la probité et de la connaissance - dans
le cadre d'une nouvelle « religion » dans laquelle
il n'y a « aucun Dieu, aucun au-delà, aucune récompense
et aucune punition ». La façon dont lui vient l'idée
d'une nouvelle religion, même si elle est sans Dieu, et les qualités
qu'il prend en considération dans cette religion rendent compréhensible
sa « comparaison avec Pascal ». Ici, il se donne
la tâche d'augmenter la force de sa nouvelle passion, et la « religion
nouvelle » doit remplir cette mission : « l'abondance
de la passion » est ici « essentielle ».
Diego Sanchez Meca, (Madrid), Contre l'eurocentrisme hégémonique :
un commentaire politique de l'aphorisme 507 d' Aurore
Cette contribution est un commentaire de l'aphorisme 507 d' Aurore, où une
clé (l'opposition entre le dogmatisme et le perspectivisme) est
donnée pour comprendre l'attitude caractéristique du « bon
européen » comme un esprit libre développé par
Nietzsche dans Le gai savoir. La morale européenne, avec
un bien et un mal absolus, a suscité un type d'homme qui idéalise
l'égalité et refuse les différences et impose la
vérité et les valeurs comme exclusives. Une comparaison
entre Nietzsche et Hegel sert à clarifier le principal défi
que Nietzsche propose à l'Europe : créer les conditions
du perfectionnement de la grandeur
Mathieu Kessler, (Orléans), La critique de la pitié
Aurore concentre les critiques de Nietzsche envers la pitié.
Celle-ci est accusée d'être non seulement inutile d'un point
de vue social, mais encore nuisible d'un point de vue psychologique,
parce qu'elle se contente de multiplier les souffrances du monde sans
préparer
les compatissants à l'action utile. La pitié ( Mitleid )
ne doit pas être autre chose qu'une étape dans la connaissance
incertaine d'autrui, toutefois, elle est aussi une puissance d'illusion
dont la vérité est l'apitoiement sur soi-même et donc
l'égoïsme. Mieux vaudrait penser une morale de l'intérêt
bien compris et de la passion inutile de créer des formes et des
moeurs toujours plus singulières.
Matteo Vincenzo d'Alfonso, (München), La téléologie
comme préjugé moral. La critique de la finalité dans Aurore
Dans cette contribution, j'analyserai les objections de Nietzsche contre
la finalité et son application dans la recherche des sciences naturelles
qui se trouvent dans l'essai de dissertation, écrite en 1868, la
téléologie depuis Kant et dans Aurore .
La description du problème qui naît de l'application du
principe de finalité et de l'interprétation de la nature
est déjà formulée clairement et définitivement
dans l'essai de dissertation ; toutefois avec cela les moyens manquaient
pour décrire suffisamment et défendre un modèle d'explication
alternatif des organismes vivants. Ce n'est que dans Aurore qu'on
peut trouver un modèle épistémologique et une stratégie
d'argumentation liée à celui-ci qui commande l'hypothèse
d'une « possibilité coordonnée » déjà énoncée
dans l'essai de dissertation. Cette possibilité rend scientifiquement
fructueux le « lien du mécanisme avec le causalisme ».
Maria Cristina Fornari La trace de Spencer dans le travail de sape de
la morale
L'explication de Nietzsche avec la philosophie anglaise dans les années
1879-1882 est, de l'avis même de l'auteur, tout autre que fortuit.
Elle se révèle essentielle pour approfondir ses réflexions
sur l'histoire et la nature de la morale. Ce qui se joue dans Aurore est
tout particulièrement le résultat d'un dialogue délibérément
engagé avec le philosophe Herbert Spencer depuis la fin de 1879.
En ce sens, Aurore offre vraiment quelque chose de nouveau :
Nietzsche y gagne une nouvelle perspective sur l'origine et la nature
de la morale. Si cela est exact, Spencer est l'un des catalyseurs de ce
tournant décisif vers un renforcement de l'implication du biologique
dans le développement de la morale. Avec Spencer, Nietzsche réfléchit à l'impossibilité d'assigner
une fin et une direction aux pulsions et de soutenir la primauté physiologique
de l'altruisme ; il soutient que la conscience morale est fille de
la crainte et défend en particulier l'hypothèse selon laquelle
la pulsion détermine inévitablement le modèle moral.
Nietzsche est convaincu que toute la casuistique de notre impératif
actuel s'explique à partir de l'instinct physiologique du troupeau :
Spencer incarne alors avec son point de vue d'une morale orientée
tout à fait naturellement selon les besoins de l'espèce,
le changement concret de modèle éthique. Bien que Nietzsche
se soit aperçu, à la fin de son cheminement philosophique,
que les Anglais étaient complètement inutilisables en tant
qu'historiens de la morale, il a quand même trouvé une importante
clé d'interprétation dans le modèle de leurs valeurs
de prédilection. Leur représentation symptomatique d'un
ancien et subtil système de morale le conduit vers la tentative
contraire, d'une expérience avec les pulsions, d'un jeu de transformation
dont le résultat ne doit jamais être fixé dans une
configuration particulière, mais plutôt rester ouvert pour
les perspectives les plus différentes : le principal point
de vue de la méthodologie historique devient de cette manière
la volonté de puissance.
Andrew Williams, (München), Les métaphores de la lumière
dans Aurore
Les métaphores de la lumière dans les oeuvres de Nietzsche
sont un moyen visant la présentation poétique des pensées
philosophiques. Elles ne sont pas simplement des visions esthétiques
littéraires, mais une manière fonctionnelle de juger. Dans Aurore ,
les métaphores de lumière sont liées à des connotations
culturelles qui soulignent en partie l'idée des déterminations
finales de tous les événements mondiaux. Dans certains passages
de l'oeuvre, la métaphorique de la lumière se décline
visiblement dans une symbolique des heures du jour : les différentes
heures du jour sont respectivement liées à d'autres états
philosophiques ou contemplatifs. Selon cette perspective, la métaphorique
de la lumière est liée à la dramaturgie des textes
de Nietzsche. Ce serait une tâche importante d'examiner plus en détail
cette dramaturgie du point de vue de la critique littéraire. |